Chronique du CD classique 2022

Pour les admirateurs de Blandine Verlet, Decca propose en « édition limitée » l’intégrale de ses enregistrements pour Philips.

Elle comporte 14 CD, dont 7 pour Bach: Toccatas, Partitas, Suites françaises, Inventions, Variations Goldberg, concerto italien et quelques autres. Pour le reste, Mozart, Scarlatti (30 sonates), Musique pour les princesses de France, etc.

Touchant souvent de superbes instruments, l’artiste affirme l’originalité de son approche, faisant parfois le choix d’une agogique surprenante, comme dans le thème des Variations Goldberg.

Pochettes originales et livret détaillé en français sont inclus, pour une fois.

A noter, pour les amateurs suisses, que FNAC/Suisse propose le coffret à prix particulièrement doux en commande Internet.


Petit rappel pour cet album salué par la presse spécialisée du monde entier :

DGG édite cet album en hommage aux quatre-vingt-dix ans de Sofia Gubaidulina. Les harmonies de ces œuvres restent aimables aux oreilles, la compositrice préférant les oppositions de timbres et de structure (mélodique contre rythmique, par exemple) aux dissonances agressives. La maîtrise de Repin s’affirme superbement, et les prises de son du respectable label à la tulipe offrent transparence, dynamique et contraste.

Chronique du CD classique

Nouveaux albums par Aylen Pritchin, Clément Lefebvre, Martha Argerich, Tedi Papavrami.

2022

2021

Aylen Pritchin, impressionnant en récital (Fribourg, mars 2016), n’a pas eu beaucoup de chance avec le disque, jusqu’à maintenant. Voici enfin un album qui lui rend justice : les trois sonates de Brahms avec Maxim Emelyanychev.

Passez rapidement sur le Scherzo de la sonate dite FAE et abordez la sonate en Sol majeur, vibrante et lyrique comme rarement. Le violoniste tire de son instrument (un Jaques Boquay de 1725) des sonorités d’une grande richesse. Il montre une capacité, inouïe depuis longtemps, à investir chaque note, à lui conférer profondeur et variété. Il a trouvé en Maxim Emelyanychev un partenaire capable de le suivre dans ses explorations, soutenant aussi bien ses recherches de pathos que ses moments de virtuosité. Rarement a-t-on entendu, depuis Oïstrach ou Milstein, cette manière d’aller au fond des notes, dans un duo pleinement accompli.

Le piano de concert choisi, un Steinway américain de 1875, apporte son timbre légèrement acidulé à cette lecture : pas un pianoforte, certes, mais pas tout à fait un Fluegel moderne non plus; un plaisir d’esthète !


Il y a trois ans Clément Lefebvre s’était signalé par un disque d’une rare élégance consacré à Rameau et Couperin:

Publier un programme de musique française du 17e au piano sur un label peu connu représente un certain risque. Clément Lefebvre l’assumait avec assurance: attaques étudiées, belle construction des plans sonores, belle sonorité avec ce qu’il faut de retenue dans ce répertoire. La Gavotte et ses six doubles convainquent particulièrement par leur belle progression, un cinquième double éblouissant et un sixième en trompe-l’œil, s’ouvrant avec retenue avant de culminer en apothéose.

L’instrument utilisé, un Yamaha CFX, semblait manquer d’un peu de richesse pour ce répertoire. Il avait été capté, d’assez près je pense, en l’église de Bon Secours à Paris en octobre 2017. Cette acoustique réverbérée assez claire n’était pas idéale pour un piano de concert, mais il faut noter que la réverbération ne brouillait pas le son direct du piano. Le petit reproche qu’on pourrait adresser à l’artiste est de pédaliser beaucoup, sans doute pour compenser cette relative sécheresse. Peu de chose, en vérité.

Le voici maintenant qui consacre un album à Ravel:

On retrouve l’élégance et la clarté du pianiste dans ce répertoire. S’y ajoute une sonorité plus charnue au service d’une vision chaleureuse et poétique du compositeur.

Clément Lefebvre joue toujours un Yamaha CFX, ici capté par Alice Legros au Théâtre Élisabéthain du Château d’Hardelot. La prise de son, toujours assez proche, bénéfice d’une acoustique plus chaude qui rend enfin justice au jeu de l’artiste.


Les amateurs de Martha Argerich, mais pas seulement, s’intéresseront certainement à cet album, reflet du festival tenu en juin 2019 à Hambourg. Nombre d’artistes de renom y ont figuré, à côté de jeunes artistes prometteurs.

Parmi les points d’intérêt majeurs, on écoutera deux sonates de Beethoven (la Kreutzer) et de Prokofiev avec Tedi Papavrami, qui démontre une impressionnante maturité en évidence, également, dans son récent enregistrement des Sonates et partitas de Bach; le troisième concerto de Prokofiev accompagné par l’orchestre de Hambourg dirigé par Sylvain Cambreling; le premier concerto de Tchaïkovski avec Charles Dutoit; les Kinderszenen de Schumann. En outre des pièces à quatre mains de Schubert, Mozart, le second trio de Mendelssohn, d’autres concertos, des sonates…

On regretta des Noces sans la diva, des Scarlatti qui la voient loin du piano, et le fait qu’elle joue souvent l’épais et non le clair (à savoir le piano 2) dans les quatre-mains. Bien peu de chose, en vérité: courez l’écouter!

Le livret offre d’intéressants documents photographiques, dont une vision de partitions appartenant à la pianiste… et fort utilisées, en apparence!


Tedi Papavrami a repris les Sei Soli de Bach dont il donne une version très épurée.

Les noms de ses plus illustres prédécesseurs viennent à l’esprit à l’écoute de cette version: Milstein, Tetzlaff (suite de la liste ad libitum). La pureté du son sert une conception magnifiquement construite de ces œuvres complexes. A noter des tempi relativement modérés dans les fugues. Le fichier HD disponible sur Qobuz profite à la finesse de l’instrument (à mon oreille, du moins…).

Théotime Langlois de Swarte et William Christie (ou l’inverse) ont mis le premier confinement à profit pour redécouvrir un contemporain de Leclair et les illustrer de belle façon côte à côte:

Intitulée Générations, cette rencontre démontre la superbe fantaisie du maître et la fougue du jeune virtuose. La légère acidité du violon qui transparaît dans le CD me paraît sublimée dans l’écoute HD sur Qobuz.


Pour un autre disque en miroir, Justin Taylor et Théotime Langlois de Swarte se sont associés à Sophie de Bardonnèche (violon) et à Hanna Salzenstein (violoncelle) pour fonder « Le Consort ».

Dans Specchio veneziano (le miroir vénitien), ils entreprennent de nous montrer que Reali, resté à l’ombre de son célèbre compatriote, mérite les lumières de la gloire autant que lui. La virtuosité et la finesse de leur jeu les aident à tenir leur pari, La follia justifiant à elle(s) seule(s) l’achat de l’album (les deux compositeurs ayant proposé leurs variations sur le célèbre ground).


Pierre Goy a enregistré pour Claves cet album de trois disques sous-titré Für Kenner und Liebhaber: pour connaisseurs et amateurs.

C’est un juste avertissement, parce que son intérêt réside autant dans le répertoire que dans la variété des instruments joués. L’amateur renoncera probablement à écouter les 46 mouvements qui composent ces sonates, fantaisies, rondos de CPE à la file. Mais son oreille sera surprise et charmée par le caractère de l’instrument qui change pour chaque oeuvre, et parfois pour chaque mouvement.

Outre la copie d’un clavicorde de Friderici datant de 1773 présentée ci-dessus à droite, sont touchés par Pierre Goy:

  • un pianoforte de Baumann, 1775
  • un pantalon de Mahr, 1776
  • un pianoforte de Silbermann, 1782

Le livret montre et décrit chacun d’eux, en précisant quels sont les registres utilisés dans un mouvement donné, la présence ou l’absence d’étouffoirs, etc. En résumé, ce qu’on nous propose constitue une mini encyclopédie illustrée de la naissance du piano.


Brice Sailly a consacré un bel album à la « famille Couperin ».

Les oeuvres dites de Couperin recèlent un mystère: la la source principale, le manuscrit de Bauyn, elle sont attribuées à Mr Couperin. La tradition éditoriale du 20e siècle en a fait crédit à Louis Couperin. Or trois frères Couperin s’étaient installés à Paris à l’époque de la composition de ces pièces: Louis, François I (pour le distinguer de François dit le Grand) et Charles. Qui donc a composé les oeuvres attribuées à Mr Couperin?