Bio ou local, il faut choisir

François Tardin (l’article intégral peut être lu dans la revue Recto-Verseau No 326, www.recto-verseau.ch)

Boosté par la crise du coronavirus, le « locavorisme » a le vent en poupe. Et pourtant, il est des empêcheurs de raisonner en rond qui affirment qu’il vaut mieux manger un produit bio venant de loin qu’un équivalent issu de l’agriculture conventionnelle locale. On regarde ce qu’il en est.

Des tomates bio espagnoles en plein hiver,

est-ce bien raisonnable?

C’est vrai qu’elles jurent dans les étals hivernaux, ces tomates bio en provenance d’Espagne, qui trônent au milieu des pommes, poires et autres crucifères bien de chez nous. Comme un pied de nez à nos valeureux paysans! Et que dire de ces dattes et de ces oranges, elles aussi biologiques, venant d’Israël? D’ailleurs, les consommateurs sont nombreux à considérer l’importation de ces produits comme une aberration, atavisme d’un temps où les préoccupations écologiques passaient au second plan. A tel point que les pouvoirs politiques se sont emparés de la question. En 2017, à l’issue de plusieurs années de débats parlementaires, la législation «Swissness» a ainsi posé un cadre plus contraignant à l’utilisation de l’indication de provenance «Suisse» et à celle de la croix blanche sur fond rouge.

Un «Swiss made» plus restrictif

Cette réglementation a bien sûr eu de grosses répercutions sur le secteur alimentaire dans lequel, pour qu’un produit soit considéré comme suisse, au moins 80% du poids des matières premières le composant doivent désormais provenir de nos vertes contrées. Pour le lait et les produits qui en sont dérivés, c’est même 100% du lait qui doit être suisse! «En outre, l’étape de transformation qui confère au produit ses caractéristiques essentielles (par exemple la transformation du lait en fromage) doit se faire en Suisse», précise le Département fédéral de l’économie sur le site de la Confédération. Les grandes enseignes, qui ont dû se mettre à la page afin de ne pas être épinglées pour une utilisation abusive du concept de «Swiss Made», ont dès lors communiqué pour faire valoir leurs efforts en la matière. De telle sorte que la consommation locale est devenue un critère d’achat de plus en plus important chez les acheteurs helvétiques. La tendance a été particulièrement visible sur la période allant de mars à mai 2020, lorsque les Suisses se sont rués sur les producteurs locaux pour braver le premier confinement.

Local, vraiment idéal?

Une vente directe parmi les gagnantes de la crise du coronavirus, des consommateurs soucieux d’acheter plus local, tout n’irait-il pas pour le mieux dans le meilleur des mondes? Non, estime, Lucien Willemin, auteur de «Tu parles Charles: manger local, c’est loin d’être idéal». Son crédo: la pollution toxique générée par l’agriculture conventionnelle suisse est plus grave que les rejets de CO2 provoqués par l’importation de produits bio étrangers. «Obnubilés par le réchauffement climatique, collectivement nous appauvrissons notre raisonnement en focalisant sur le transport et ses rejets de CO2, écrit-il.» Comparant l’achat d’une carotte traditionnelle locale à celui d’une carotte bio importée, il poursuit: «Le choix collectif se porte sur la carotte tradi locale. Ceci est dû au fait que nous voyons le transport de la carotte et que nous oublions celui de la chimie, tout comme sa fabrication et son utilisation.» Pour Lucien Willemin, le principal problème réside donc dans le recours massif de l’agriculture conventionnelle aux pesticides et autres engrais de synthèse. 30 à 35 traitements différents sont, par exemple, autorisés en Suisse pour la culture des fruits à pépins.

Le discutable bio étranger

Les détracteurs de Lucien Willemin, parmi lesquels l’ancien président de l’Union suisse des paysans (USP), Jacques Bourgeois, rétorquent que le choix inconditionnel du bio, quel que soit sa provenance, est pour le moins discutable. Le Fribourgeois met en avant le cahier des charges souvent moins restrictif des producteurs bio étrangers par rapport à leurs homologues helvétiques. Au sein de l’Union européenne, les exploitations produisant du bio peuvent par exemple le faire de manière sectorielle, à savoir qu’une partie des terres peut être cultivée de manière conventionnelle. En Suisse, pour rappel, pour obtenir le label au bourgeon, l’intégralité de l’exploitation doit être convertie au bio dans une durée de deux ans. Jacques Bourgeois rappelle en outre que tous les agriculteurs helvétiques, qu’ils soient bio ou non, sont tenus de consacrer 7% de leurs surfaces cultivables à la promotion de la biodiversité. Enfin, le Conseiller national libéral n’oublie pas de relever que consommer local permet de «soutenir nos emplois et notre économie.»

Quelle agriculture voulons-nous encourager?

La solution idéale reste bien évidemment un bio local, ou à tout le moins un locavorisme porté par une agriculture conventionnelle faisant un pas vers des méthodes plus respectueuses de l’environnement. L’on ne peut en effet pas éternellement demander aux consommateurs de devoir choisir entre la pollution toxique des sols résultant de l’emploi de méthodes de culture archaïques, et la pollution de l’air provoquée par l’importation de produits bio étrangers. «Place à l’agroécologie, la biodynamie, la permaculture, l’agroforesterie… autant de formes adaptées à différents climats et différentes latitudes, remarque encore M. Willemin. Une biodiversité agricole ‘aimante’ qui est notre seul avenir.» Autrement dit, l’enjeu majeur en matière agroalimentaire consiste à sortir de «ce processus absurde où, pour se nourrir, il faut détruire», processus que dénonce Pierre Rabhi. Un pas significatif dans ce sens peut être franchi dès 2021 en nous mobilisant massivement en faveur de deux initiatives voulant lutter contre les pesticides.